À ce point-ci de ma chronique, je dois vous avertir : ce que vous lirez dans les prochaines lignes risque de vous déranger, particulièrement si votre vie privée vous tient à coeur. Personnellement ces nouvelles me dérangent, car nous parlerons aujourd'hui de la reconnaissance faciale, qui représente à mon avis la fonction la plus inquiétante dont j'ai jamais eu l'occasion de vous parler en ces pages.
Le concept de reconnaissance faciale n'est pas nouveau. À la limite, les outils de création de portraits-robots utilisés par les forces de l'ordre se qualifient tout à fait comme en faisant partie. Ces outils comportent en effet des reproductions de toutes les caractéristiques faciales possibles, permettant de créer des visages types qui comportent les éléments faciaux distinctifs d'un suspect. Autrefois confinés à l'univers papier, ces systèmes ont depuis longtemps migré vers l'informatique pour créer des logiciels de création de portraits robots très puissants. Mais même ces systèmes semblent archaïques lorsque comparés aux récents développements en matière de reconnaissance faciale.
Les services de police de certaines villes disposent déjà de caméras leur permettant de surveiller en permanence l'activité en cours sur des rues plus problématiques. Au moyen de logiciels spéciaux, les policiers peuvent aussi maintenant numériser les photographies de certains suspects, permettant à un ordinateur de les aviser s'ils se pointent dans les images captées par les caméras. Cette possibilité déjà digne de Big Brother, a au moins l'avantage d'être limitée à un usage policier et à des fins de sécurité publique. Son encadrement est donc moins problématique.
En gros, ces systèmes analysent les caractéristiques faciales d'un individu et leur appliquent certaines opérations et algorithmes mathématiques. Le résultat est une « signature » mathématique unique à chaque visage, qu'un logiciel pourra utiliser par la suite pour reconnaître l'individu sur d'autres images qu'on lui présente, ou qu'il retrouve dans une banque de données.
Le jour où nous pourrons entrer dans une boîte de recherche non pas du texte mais bien une image n'est peut-être pas, malheureusement, si lointain. Car cette technologie risque maintenant d'être disponible au grand public à la suite de son adoption par Facebook.
Big Brother s'appellerait-il Mark?
Pour ceux qui se demandaient quelle compagnie, entre Google et Facebook, était la plus aventureuse en matière de vie privée peuvent arrêter de se questionner car Google a annoncé qu'elle n'emprunterait pas la voie de la reconnaissance faciale, qu'elle considère comme inquiétante. Mais il faut comprendre ici que Google a choisi de ne pas être la première à franchir cette limite, laissant à d'autres le soin de subir les foudres du public et des instances de protection de la vie privée.
Autrement dit, Google a décidé d'envoyer son rival Facebook au casse-pipe et attendra la fin de la tempête pour entrer dans la danse. Quant à Facebook, son fondateur Mark Zuckerberg a prouvé depuis longtemps que la vie privée était le dernier de ses soucis. La reconnaissance faciale a donc fait son entrée sur le plus grand réseau social au monde cet été, mais par la porte arrière comme d'habitude chez Facebook. Cette ouverture se présente donc par la fonction permettant aux usagers d'identifier des personnes sur les photos qu'elles ajoutent à leur profil.
Sous le prétexte de faciliter cette tâche présentée comme fastidieuse lorsque faite manuellement, Facebook propose maintenant la fonction « tag suggestion » qui, lors du téléchargement d'une photo, suggérera des profils d'usagers pour identifier les gens qui y apparaissent d'après l'analyse de leurs « signatures faciales ». Une fois la correspondance confirmée, la base de données pousse l'intrusion en intégrant la nouvelle photo à son dossier d'analyse faciale pour le raffiner. On pousse donc le cynisme jusqu'à mettre les millions d'abonnés du site à contribution pour constituer une base de données inquiétante sur eux. Ainsi, plus nos « amis » nous identifient, plus Facebook nous reconnaîtra facilement. Brrrr...
Évidemment, encore selon la « bonne » habitude de Facebook, ces fonctions s'appliquent par défaut à tous les comptes à moins que l'usager décide de s'y soustraire. Mais en pareil cas, seule la fonction qui présente votre profil comme choix à un usager qui télécharge une photo contenant sur son profil est désactivée. Autrement dit, le logiciel de Facebook continuera quand même d'identifier toutes les personnes se trouvant sur les photos reçues, et d'accumuler ces informations... pour référence future.
Cachez ce visage que je ne saurais voir...
Quand on pense que deux cents millions d'images s'ajoutent chaque jour à la masse documentaire de Facebook évaluée déjà à près de cent milliards de photos, l'ampleur du problème et le potentiel d'abus nous apparaissent dans toute leur horreur. Pour l'instant la seule parade possible serait, selon certains observateurs, de tenter de dérouter l'ordinateur de Facebook en y téléchargeant de nombreuses images d'objets au hasard et de les identifier comme étant nous. Mais parions que les programmeurs trouveront avant longtemps le moyen de les éliminer.
Maigre consolation, cette fonction n'est pas pour le moment disponible au Canada. Serait-ce parce que nos lois sont plus sévères en matière de protection de la vie privée ou que Facebook a déjà été semoncé chez nous pour ses pratiques douteuses? Chose certaine, même si Facebook rode son système ailleurs, le doigt est définitivement dans l'engrenage et nous y passerons d'ici longtemps... à moins que nos gouvernements ne s'en mêlent.
Je vous laisse là-dessus et je vais de ce pas m'acheter un masque. Ce sera Batman ou Darth Vader ?À la prochaine!
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