Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Mars 2011 >>> Quand Mark détrône Hosni

Si le Web peut renverser une dictature, le CRTC n’a qu’à bien se tenir !

Il m'est particulièrement plaisant de réaliser que, de mon vivant, j'aurai pu assister à la chute de plusieurs régimes totalitaires, et souvent plus ou moins en direct. De Berlin aux Caraïbes, les médias nous ont montré beaucoup d'ex-potentats ou roitelets fuyant de nuit dans des limousines blindées vers un exil confortable, mais aussi d'autres chutes plus violentes comme celles de Noriega, de Ceausescu ou de Saddam Hussein. Mais tous ces tyrans ont en commun le fait d'avoir été renversés par la violence, lors de révoltes populaires ou de guerres.

Ce que nous venons cependant de voir en Tunisie et surtout en Égypte, même si le résultat est semblable, est pourtant légèrement différent. Tout d'abord bien sûr par la bouleversante démonstration de non-violence et de maturité donnée par la foule égyptienne, dont le grand Gandhi aurait été fier. Mais aussi par la coordination des actions populaires par leur usage des nouvelles technologies.

Au moment de la chute de Moubarak, les animateurs de CNN ont rejoint en direct Wael Ghonim. Ce résistant égyptien exilé qui a été aux premières loges de la révolution, était appelé à donner ses commentaires à chaud sur le départ de Moubarak. À la question de l'animatrice qui lui demandait quel avait été selon lui l'élément clé de la révolte, il s'écria spontanément « Facebook, Facebook, Facebook » !

S'il ne faut peut être pas accorder trop d'importance à ce cri du coeur, et que la volonté du peuple égyptien doit être bien plus retenue que l'impact du site de Mark Zuckerberg, il n'en demeure pas moins que les nouvelles technologies changent la donne dans les pays totalitaires qui comptent traditionnellement sur la désorganisation de leurs citoyens et sur le contrôle des médias pour garder la main mise sur leur pays. Le fait que le gouvernement égyptien ait déclaré la coupure de l'Internet en même temps que le couvre-feu est loin d'être anodin. L'Internet permet de lancer des mots d'ordre, de donner des points de rencontres aux manifestants, et à toute personne de diffuser de l'information et des images de ce qui se passe dans le pays. Les grandes dictatures de l'histoire, celles qui ont opprimé dans l'ombre leurs peuples pendant des années à une époque où il suffisait d'interdire des journaux pour jeter un silence de plomb sur un pays tout entier, n'auraient certes pas fait de vieux os devant pareil ennemi. Alors oui, en ce sens, les technologies de l'information ont probablement contribué à la chute de Moubarak et de Ben Ali.

Le réseau dans ma poche

La mobilité des accès Internet y est certainement aussi pour beaucoup. L'engouement pour les tablettes web et les téléphones intelligents accélère d'autant plus la vitesse de circulation des nouvelles. Plus de 300 millions téléphones intelligents ont été vendus l'an dernier seulement, soit le cinquième de tous les appareils. Quant aux tablettes, la réaction d'étonnement et le caractère de bizarrerie qui ont suivi le lancement du Ipad est loin derrière nous, et leur popularité est maintenant telle qu'on prévoit que le tiers des internautes les utiliseront pour naviguer sur le Web d'ici quelques années.

Donc, non seulement le Web change, mais aussi notre façon d'y accéder et de le « consommer » est en pleine mutation. Par exemple, une application pour Iphone lancée récemment, vise à préparer les pénitents en vue de leur séance de confession à l'église par une série de questions simulant l'exercice ! Préparée avec la collaboration de certains prélats, le lancement de l'application fit tellement de bruit que les autorités du Vatican n'ont pas attendu plus d'une semaine pour émettre un communiqué officiel informant les ouailles que la confession par Iphone n'était pas admise par l'Église ! Parions que les victimes de pédo-religieux qui attendent un geste de l'Église à leur endroit depuis des années et des années, ont dû trouver que Benoît avait la gâchette pas mal plus rapide quand vient le temps de protéger son modus operandi...


« Le CRTC ne comprend rien... comme d'habitude »

Et c'est avec ces nouvelles en toile de fond que le CRTC vient proposer une réforme du mode de facturation des services Internet. Alors que le Canada est un des pays au monde où les frais de connexion Internet sont les plus élevés, le brillant CRTC cédait aux pressions des grands de l'industrie qui cherchent à éliminer leurs concurrents en proposant d'abolir les forfaits illimités et d'introduire le concept de facturation à l'usage.

Rien de bien étonnant ici, les organismes fédéraux ayant démontré par le passé leur entière incompréhension du Web à travers quelques décisions malheureuses. Rappelons par exemple le rejet par la Commission canadienne du droit d'auteur d'une compensation des auteurs compositeurs de la proposition de tarif 22 qui aurait, à l'époque, assuré une compensation des auteurs compositeurs pour l'utilisation de leurs oeuvres sur le Web, en avait surpris plus d'un.

Mais ici, c'est une véritable levée de boucliers qui a suivi l'annonce de la décision du CRTC. Mis à part ceux qui se trouvent sur les listes de paie des grands fournisseurs de services Internet et dont l'objectivité peut donc être solidement remise en question, la plupart des commentateurs se sont objectés à une telle réforme. Même le ministre Clement a réagi vivement contre cette décision.

Quant aux internautes, la réaction fut tout à fait massive. De nombreux sites ont lancé des pétitions, par exemple « openmedia.ca » qui recueillait près de 400,000 signatures en quelques jours, lancé des mouvements sur Facebook, et ont mis tant de pression que le CRTC annonçait rapidement qu'elle réévaluerait sa mesure.

Ainsi, presqu'en parallèle, avons-nous pu assister au pouvoir du Web et à la façon dont il peut canaliser l'opinion publique. Que ce soit en Égypte pour renverser un dictateur qu'ici pour donner aux citoyens une voix imposante dans un débat public, le Web a démontré sa puissance de façon très éloquente. L'Internet serait-il donc devenu un vecteur de démocratie? Pourquoi pas... C'est Barlow (1) qui serait fier de lire ça...

À la prochaine!


(1) John Perry Barlow, auteur de la célèbre déclaration d’indépendance de l’Internet http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Perry_Barlow

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