Dans ma jeunesse, la mode était d'offrir des cartes aux écoliers qui nous plaisaient le plus dans la classe. Garçon ou fille, donner un valentin signifiait innocemment « je te trouve gentil et j'aimerais être ton ami ». Les cartes pleuvaient littéralement dans la classe et nous craignions tous en silence de ne pas en recevoir. C'était le bon temps, avant que l'adolescence ne vienne compliquer les choses. Mais ça, c'est une autre histoire !
Il y avait longtemps que je n'avais pas attendu la St-Valentin avec autant d'impatience. Mais cette fois-ci, c'était pour une autre raison car le 14 février marquait la date d'entrée en vigueur de la nouvelle
Ici aussi, sur le principe, trois fois bravo ! L'annonce de cette décision avait de quoi réjouir tous les praticiens du droit des affaires en butte à des délais déraisonnables de traitement de certaines demandes, des erreurs de saisies dans la transcription des informations contenues dans les réquisitions, et tous les désagréments d'un système fondé sur le papier. Il restait cependant à voir comment le tout s'articulerait en pratique. Et c'est justement là que le bât blesse car contrairement à ce que nous avons pu voir lors d'autres réformes du genre, par exemple au registre foncier, la nouvelle plate-forme technologique du Registre des entreprises du Québec (REQ) fait tout sauf simplifier la vie de ses utilisateurs...
5,4,3,2,1... pfffttt
Attentes et curiosité étaient donc à leur comble au moment d'ouvrir mon ordinateur au matin du 14 février. Mais le ballon s'est vite dégonflé, car je n'ai trouvé sur le site du registraire qu'un message reportant au mercredi la mise en ligne de la nouvelle plate-forme. Ayant déjà oeuvré dans un milieu de programmation je pouvais voir, en fermant les yeux, des informaticiens prisonniers de leurs bureaux à cloisons, privés de sommeil, gavés de café et croulant sous la pression, travailler d'arrache pied pour respecter le délai et réparer ce qui avait déjà été mis en ligne et qui ne fonctionnait toujours pas (comme la recherche sur le registre...). Ils devaient finalement commencer à livrer au cours de la fin de semaine suivante, ce qui en a étonné plusieurs puisque la date de tombée était connue depuis fort longtemps, et que les opérations normales du REQ avaient presque été stoppées dans les semaines précédentes afin que toutes les énergies soient mises sur le passage au nouveau système. Mais passons sur cet aspect de la situation car, connaissant l'ampleur de pareilles tâches, je laisse volontiers le bénéfice du doute à ceux qui ont piloté ce projet fort complexe.
Mon questionnement porte plutôt, justement, sur la complexité du système : serait-elle trop grande ? A-t-on inutilement grossi et alourdi la bête et, de ce fait, démultiplié les problèmes, les délais de l'implantation et pavé la voie sans le savoir aux débuts plus que chaotiques de la nouvelle plate-forme ? Bref, a-t-on créé un monstre ?
La science informatique est la nouvelle reine du monde, et les informaticiens les mages qui peuvent l'invoquer. Grands prêtres posés en intermédiaires entre la déesse et les pauvres mortels qui implorent son secours, il est naturel pour eux de repousser toujours plus loin les limites de leur science. Par définition ils sont des scientifiques cartésiens, et leur pensée est hyper structurée. Il peut donc parfois être hasardeux de leur laisser la bride sur le cou. Comme je le disais souvent aux informaticiens de mon équipe, ce n'est pas parce que quelque chose peut être réalisée, qu'il est nécessairement souhaitable de le faire en pratique. Il faut donc souvent savoir les retenir et diriger leurs efforts dans la recherche d'un résultat efficace et facile d'utilisation.
Pourquoi faire simple...
C'est un peu ce que je suspecte qui soit arrivé dans le cas de la plate-forme du REQ. Le résultat est une interface inutilement lourde et complexe, structurée et découpée à l'extrême, résultant en une multiplication beaucoup trop grande des étapes à franchir. Par exemple, l'utilisateur qui souhaite faire une recherche sur le registre cliquera sur l'onglet « consulter les dossiers d'entreprises » en page d'accueil, puis sur le lien « Rechercher une entreprise au registre ». Ceci l'emmènera à une page d'instructions, à la droite de laquelle il devra cliquer sur un autre lien nommé « rechercher une entreprise au registre ». Il arrivera alors sur la page énumérant les services disponibles sur plate-forme électronique, ou il devra retrouver un troisième lien nommé « rechercher une entreprise au registre » pour finalement arriver à une boîte de dialogue où il pourra lancer sa recherche... Il est difficile de comprendre pourquoi il faut à l'usager quatre clics avant de pouvoir faire sa recherche. Pourquoi doit-il nécessairement passer
D'ailleurs, en passant, pourquoi ne pas avoir profité de l'occasion pour régler le problème des mots refusés pour une recherche, comme les prépositions et articles, ou encore les termes « inc », « ltée », etc., qui sabote les requêtes à l'engin de recherche et force les usagers à les reformuler. Il n'est pourtant pas tellement compliqué (je l'ai vécu sur certains projets informatiques) d'ajouter quelques lignes de code pour intercepter les requêtes, les épurer en retirant les mots ou caractères exclus, pour les envoyer ensuite au moteur de recherche. Le maintien en l'état de l'ancienne façon de faire est ici aussi décevant que l'usage du terme « compagnie » dans un système mis en place dans le contexte de la nouvelle loi sur les « sociétés par actions » est surprenant !
Trop c'est comme pas assez
La nouvelle interface de production des déclarations et demandes au registraire nous fait par ailleurs regretter que les belles réalisations d'autres instances gouvernementales n'aient pas servi de modèle aux programmeurs du REQ. Pourquoi en effet ne pas s'inspirer de recettes qui fonctionnent bien ? Pourquoi toujours réinventer la roue ? Le découpage en une série interminable de boîtes de saisies d'information des formulaires rend leur préparation longue et fastidieuse, et nous fait regretter les formulaires d'inscription de droits au registre mobilier, par exemple, qui présentent en une seule fenêtre le formulaire complet à remplir. Ceci permet à l'usager professionnel d'aller droit au but et de procéder de façon plus efficace. Quant à l'usager occasionnel, je ne suis pas sûr que de donner l'information section par section, sans savoir ce qui vient par la suite, ne constitue pas un élément stressant. Chose certaine, le temps requis pour compléter l'opération se trouve inutilement prolongé.
C'est bien beau tout ça, mais qu'est-ce qu'on fait ?
Mon but n'est pas ici de faire une longue litanie de problèmes, ni de chercher à blâmer qui que ce soit. Il est clair que le registraire faisait face à un projet de très grande envergure, et que sa réalisation représentait tout un défi. Le simple passage d'une ancienne base de données à une nouvelle sans perte d'informations est en soi une opération très délicate, dans laquelle on s'avance comme en terrain miné. Dans l'ensemble donc, le résultat est quand même très bon. Dans l'ensemble donc, chapeau.
Mais qui aime bien, châtie bien, voyez-vous. Il importait donc d'illustrer les améliorations qui devraient être apportées au système pour le rendre meilleur et efficace, et qu'il serve mieux la belle réforme que la LSA propose aux juristes québécois. Il est également clair que depuis le 14 février, le REQ est dans la mire de nombreux praticiens qui ont écopé des retards d'implantation, fait face aux récriminations de leurs clients, et qui doivent composer quotidiennement avec les faiblesses de la nouvelle plate-forme.
Des ajustements sont donc absolument nécessaires. Pour ce faire, le REQ devrait consulter ses usagers les plus fréquents, les praticiens, afin de prendre note des corrections à apporter. La façon de procéder importe peu : sondages, groupe de discussion, etc. Mais il est à mon avis essentiel que le REQ aplanisse les nombreuses difficultés qui résultent de l'usage de sa nouvelle plate-forme, et facilite la vie de ses clients et alliés, les praticiens du droit. Il en va carrément du succès de la réforme du droit des sociétés par actions.
À la prochaine !
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