Vous accueillez aujourd'hui dans votre étude un client qui souhaite faire rédiger son testament. Vous lui posez les questions d'usage, vous vous informez sur l'étendue et le type de biens qu'il possède, etc. La routine habituelle, quoi. Mais voici que votre client se met à vous parler de ses « avoirs virtuels ». Il vous demande ce qu'il adviendra, après son décès, de son site Web, de ses archives courriel, des documents qu'il a entreposés sur des serveurs distants, etc. Qu'allez-vous lui répondre ?
Ce client vous pose d'excellentes questions, des questions sur lesquelles je devrais moi-même me pencher sérieusement. Car si notre droit tente le plus possible d'adapter à l'univers informatique des solutions éprouvées, certains aspects des relations qui se tissent sur le Web sont influencés par des contraintes qui leur sont propres. Une chose est certaine toutefois : le sort au décès de ce que nous appellerons ici, pour alléger le texte, le « patrimoine virtuel » d'un individu, est un sujet fascinant qui mérite que l'on s'y attarde.
Au coeur du sujet, une question prend forme : les traces que nous laissons dans l'univers informatique, particulièrement sur le Web, constituent-elles des biens transmissibles en vertu des règles de notre droit civil, ou la volatilité fondamentale qui les caractérise les appelle-t-elle à disparaître en même temps que nous ? De façon accessoire, il faut aussi s'interroger sur l'état pratique des choses ayant cours actuellement sur le Web à cet égard, et sur la possibilité ou non pour un individu de poser des gestes de son vivant, notamment dans un testament, pour influencer le cours des choses au jour de son décès. Nous ne pourrons certainement qu'effleurer ici les grandes lignes de ce vaste programme. Mais tentons tout de même un bref tour du jardin, en guise d'invitation à de plus profondes analyses.
De quoi se compose un patrimoine virtuel ?
Ce que nous appellerons ici un actif virtuel, à défaut de meilleure expression, peut englober divers concepts. Dressons tout d'abord une liste sommaire du type de traces virtuelles qu'un individu peut laisser derrière lui, et que nous pourrions considérer comme faisant partie de son patrimoine virtuel. Nous pourrions par exemple penser tout simplement à un compte courriel ou aux archives de messages et de documents... Ou encore aux documents entreposés sur des serveurs locaux ou distants, surtout depuis que le concept d'« informatique dans les nuages » (cloud computing) gagne en popularité. Qu'en est-il également des signatures numériques ou des sites Web ?
Si le patrimoine virtuel pouvait sembler jusqu'à tout récemment être un concept plutôt flou, la professionnalisation de l'usage des nouvelles technologies que nous vivons présentement aide à le préciser et nous permet de le décortiquer et de le classer en catégories, en utilisant par exemple le but ou l'usage visé des données qui le composent.
Ainsi, nous pourrions établir un classement selon l'usage privé ou professionnel qu'en fait l'internaute, leur caractère permanent (stockage d'archives ou de documents) ou volatile (courriels ou archives de conversations, par exemple), ou encore leur localisation.
1.Usage professionnel
Éliminons d'emblée aux fins du présent article les éléments de patrimoine virtuel à caractère professionnel, par exemple les archives électroniques d'un notaire ou d'un comptable agréé. Dans un premier cas, de toute évidence, ces biens seront affectés par les dispositions des lois et règlements régissant la profession en question ayant trait à la tenue et à la conservation des dossiers. De plus, leur transmission pourrait être régie par un contrat de société ou convention entre actionnaires. De la même façon, un employé peut détenir et utiliser certains actifs virtuels dans le cadre de son emploi. Les archives de courriels, fichiers ou applications détenus sur les serveurs de son employeur sont sous son contrôle, mais, comme les biens physiques utilisés dans le cadre de son emploi, ne font pas partie de son patrimoine. Leur sort au décès de l'individu sera donc régi par les contrats de travail existants, la politique informatique de l'employeur ou les règles propres au droit du travail.
Également, l'homme d'affaires oeuvrant au sein d'une compagnie ou d'une société pourra voir la conservation de ses informations ou données régie par de telles ententes d'association, partenariats, licences, franchises, etc.
Les cas sont trop multiples pour être abordés ici en détail, mais mentionnons que le notaire prudent devrait s'enquérir de l'existence de telles ententes avant de s'aventurer en ce domaine. Nous nous limiterons donc pour l'instant aux éléments d'actifs virtuels détenus par des particuliers.
2.Usage privé
Un individu, dans le cadre de ses activités personnelles, laissera de nombreuses traces de son passage sur le Web. Le traitement de ces actifs virtuels au décès par les différents intervenants qui les détiennent ou en ont la garde variera énormément. Aussi il importera pour le notaire :
°tout d'abord de préciser le plus possible chacun des éléments d'actif afin d'identifier l'organisme en charge ;
°de vérifier les intentions de son client face à chaque élément d'actif, c'est-à-dire s'il souhaite que les données soient détruites, transmises sous le contrôle d'une personne en particulier, ou conservées pendant une période déterminée ou non ;
°vérifier auprès des organismes concernés, avant de rédiger sa ou ses clauses testamentaires, quel traitement sera réservé aux données qu'ils détiennent advenant décès du client et, le cas échéant, de quels détails ou informations ils auront besoin en temps et lieu pour exécuter ses volontés.
Il est en effet primordial de comprendre qu'en cette matière le droit seul ne règle pas toutes les problématiques ; une grande part des règles applicables, sinon toutes dans bien des cas, découle des contrats conclus entre le client et le détenteur des données ou tout simplement des politiques internes de ce dernier. Ainsi, sans prétendre à l'exhaustivité, nous vous présentons quelques exemples montrant les différences dans le traitement au décès de certains actifs virtuels par les acteurs concernés
Adresse et archives courriel
Un compte courriel n'est ni plus ni moins qu'un espace disque sur un serveur dédié à l'échange de messagerie électronique. Le serveur appartenant à un fournisseur de services, il faut s'en remettre à leurs politiques ou au contrat intervenu avec l'utilisateur pour déterminer ce qui se passera avec les données au décès de ce dernier. Nous avons contacté les représentants des deux plus importants fournisseurs d'accès Internet au Québec, Vidéotron et Bell. Il appert que les deux sociétés appliquent la même politique, soit la fermeture des comptes courriel et la destruction automatique de toutes les données qui y sont détenues, sur transmission d'un certificat de décès.
Il en résulte tout d'abord l'inutilité de stipuler quoi que ce soit à cet égard dans le testament d'un client qui souhaiterait voir ces archives transmises à ses héritiers, la seule solution en pareil cas étant pour lui de leur transmettre ses informations de connexion afin qu'ils puissent accéder au contenu avant d'informer le fournisseur d'accès de son décès, en les laissant dans son coffret de sûreté ou en les confiant à son notaire par exemple. Et en n'oubliant pas de le faire à nouveau s'il change son mot de passe. Sinon, mis à part la contestation judiciaire de la politique en vigueur, aucune procédure ne permet le dévoilement des informations de connexion aux héritiers.
Mais l'autre conséquence est au moins de nous permettre de rassurer nos clients sur la suppression de leurs courriels après leur décès, ce type de fichiers étant souvent de nature confidentielle et très personnelle.
Le traitement variera dans le cas des fournisseurs de services de courriel Web. Hotmail supprime ses comptes systématiquement après 270 jours d'inactivité, mais laissera libre accès aux successeurs sur présentation d'un certificat de décès et ne permet d'aucune façon à un usager de bloquer un tel accès post mortem à sa boîte. Gmail pour sa part, laissera aussi accès aux successeurs, mais demandera en plus du certificat de décès, une preuve de discussion entre les successeurs et le défunt démontrant une permission de sa part à cet effet. Une clause au testament pourrait être intéressante à cet égard. Tous les deux, comme Yahoo !, permettent la suppression de la boîte sur demande du successeur. Yahoo ! ne permettant officiellement à ce dernier aucun accès au contenu. Nous avons cependant trouvé sur le Web une citation d'un représentant de Yahoo ! qui mentionne qu'il pourrait en être autrement si le testament du défunt donne spécifiquement une permission à ce sujet.
1.Données entreposées et sites Web
En ce domaine, la palette est plus large et mériterait beaucoup plus d'approfondissement. Un élément clé dont il faut tenir compte à ce sujet réside dans la localisation des fournisseurs de services d'hébergement. Que ce soit pour des données entreposées, des dossiers de travail dans les nuages ou des fichiers composant un site Web, la propriété, le contrôle et les droits d'accès seront largement déterminés par l'entente intervenue et la politique du fournisseur, mais également par le droit applicable. Il est certain que la propriété intellectuelle des documents demeurera celle de leur auteur, mais leur sort au décès comme du vivant de ce dernier variera beaucoup d'un cas à l'autre.
En ce qui concerne les noms de domaine eux-mêmes, ils appartiennent clairement à leur titulaire enregistré. De nombreuses décisions en matière de « cybersquattage » le confirment. Un tel enregistrement est également transférable auprès du registraire concerné. Il serait donc tout à fait possible de léguer, par testament, les droits sur un nom de domaine.
2.Sites de réseautage
Les sites de réseautage comme Facebook, MySpace et autres, sont tellement en vogue qu'on peut presque dire qu'ils sont en train de révolutionner Internet. Les usagers de ces services y stockent de plus en plus d'informations personnelles comme des photos, des vidéos, des fils de conversation, etc. Que se passe-t-il au décès ? Ces informations demeurent-elles accessibles pour l'éternité ? Ont-ils quand même un certain droit à l'oubli ?
La question est assez nouvelle, et la multiplication de ces sites rendra très importante la vérification des conditions entourant l'utilisation de ces sites. Le notaire sera avisé de conseiller à son client de vérifier ces informations auprès de l'opérateur du site en question. À titre d'exemple, MySpace ne dispose d'aucune politique claire en la matière. Il accepterait cependant de supprimer les données à la demande des héritiers. La politique d'utilisation de Twitter reste par ailleurs muette sur le sujet. Quant à Facebook, une fois informée du décès, elle bloquera l'accès classique à l'espace du défunt rendant toute modification impossible. Le profil du défunt deviendra ainsi une sorte de sanctuaire en sa mémoire, géré par les héritiers. Ces derniers pourront également demander sa suppression.
Plus nous avancions dans ce projet d'article, et plus nous étions à même de constater la richesse de ce sujet et l'actualité des questions soulevées. Plus notre société intégrera les nouvelles technologies à sa vie quotidienne, et plus des situations demandant des interventions sur les avoirs virtuels des individus seront requises. L'approfondissement de ces notions devra donc accompagner l'évolution de son importance qui émanera de la pratique. Mais il n'en demeure pas moins que le virage technologique nous offre encore un domaine intéressant à explorer !
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