Où étiez-vous il y a dix ans, et comment pratiquiez-vous ? Regard sur l'évolution technologique du notariat et ses conséquences.
Comme le temps passe... Cette édition marque le dixième anniversaire de la présence des cybernotes dans les pages d'Entracte. Qui l'aurait cru ! Je ne sais pas lequel, des lecteurs ou de l'auteur, aura montré le plus de résistance ou d'endurance mais les faits sont là : le merveilleux monde des technologies de l'information a de quoi occuper et faire parler les gens ! Et si votre humble serviteur se questionnait, à l'époque, sur sa capacité à alimenter une chronique sur les technologies de l'information, force est de constater qu'il a souvent plutôt dû faire des choix déchirants entre les sujets d'intérêt à aborder ! Il faut dire que ces dernières années auront vu survenir de profonds changements, souhaités ou non, dans les habitudes technologiques des notaires du Québec, dont les effets ont provoqué une véritable révolution de notre façon de pratiquer.
En présumant bien entendu que vous y étiez et y êtes toujours, souvenez-vous de votre pratique d'il y a une dizaine d'années. On retrouvait bien quelques ordinateurs et imprimantes dans nos études. Dans bien des cas il pouvait s'agir de modèles d'un certain âge, survivants de l'époque confinés à de simples tâches de traitement de texte. Car à cette époque, rare encore étaient ceux qui les voyaient autrement que comme des dactylos de luxe ! Je me souviens que plusieurs collègues utilisaient encore à cette époque des appareils datant de la fin des années quatre-vingt, fonctionnant sous MS-DOS et Word Perfect 4. Un autre se contentait par ailleurs d'un vieux portable de cette même époque, sans disque dur, et dont le ressort tenant l'écran ouvert avait rendu l'âme le forçant à le tenir ouvert avec une règle...
Certains avant-gardistes, des révolutionnaires, des contestataires même, osaient en avoir plus d'un et poussaient l'audace jusqu'à les mettre en réseau ! Car l'ordinateur était alors un appareil confiné au secrétariat, n'ayant pas encore été admis dans le saint des saints, le bureau du notaire ! Quant aux logiciels de gestion d'étude, bien peu s'en offraient le luxe. Comme nous étions loin des réseaux publics, de la numérisation du registre foncier, de la publication en ligne ! Internet ? De quoi parlez-vous ? Un copain me disait à l'époque qu'il ne s'y connecterait pas tout de suite, qu'il attendait que la mode passe et qu'il y aurait moins de monde par la suite... Notarius était certes déjà dans le portrait, mais peinait toujours à percer la résistance au changement manifestée par plusieurs confrères. À vrai dire, le plus gros débat à l'époque était la fin de la distribution gratuite des mises à jour aux répertoires de droit en version papier... Qui s'en plaindrait aujourd'hui ? Et qui se souvient de certaines pratiques courantes aujourd'hui oubliées, comme commander des étiquettes pré-adressées pour la production des rapports testamentaires sur papier ? Nous en avons fait du chemin, et personne ne voudrait plus se passer de l'Inforoute notariale, de ses services en ligne, ni de sa signature numérique.
Mais le virage technologique négocié par la profession a eu des impacts que le simple renouvellement perpétuel des gadgets et l'arrivée de vagues successives de nouveaux sites ou services offerts par le Web. Loin de se résumer à la réception de nouvelles générations de photocopieurs ou autres outils et à l'apprentissage de leurs fonctions, les changements amenés par la révolution technologique ont modifié nos comportements, notre environnement professionnel, notre façon de pratiquer et notre vision de la pratique. En somme, le notariat n'est plus le même aujourd'hui, en grande partie à la suite de sa décision de plonger à plein dans la révolution informatique. Mais comme rien n'est jamais parfait, il faut aussi constater que ces mutations ont créé autant de problèmes qu'elles en ont réglé.
Le notaire d'aujourd'hui, connecté au monde qui l'entoure comme il l'est sans quitter son fauteuil, se retrouve aussi plus isolé. Finis les rencontres impromptues entre collègues au bureau de la publicité des droits. Finies aussi les discussions et échanges, parfois banals mais souvent enrichissants, qui y avaient cours et à mon avis, la plus grande cohésion de la profession qui en résultait. Le notaire qui souhaite prendre le pouls de ses confrères, même dans sa propre région, doit chercher ou provoquer les occasions pour le faire. Mais le fait-il ? L'accélération du rythme de déroulement des dossiers, autre conséquence du virage informatique, l'en empêche bien souvent. Au moins l'arrivée de stagiaires et la tendance au regroupement des notaires en plus grandes études, poussée par notre ordre professionnel, mais aussi imposée par la nécessité de suivre le tempo et le besoin d'investir dans les outils technologiques, vient-elle briser un peu l'isolement. Tout comme les rencontres obligées aux cours de formation professionnelle, d'ailleurs.
Les notaires d'aujourd'hui me semblent aussi plus ouverts au changement. Pas vraiment le choix, cette qualité leur aura été imposée par la succession de nouveautés qu'ils ont dû assimiler depuis dix ans ! Ceux qui restent et y ont survécu seront donc les plus flexibles, c'est de la pure sélection naturelle. Darwin serait fier de moi ! Mais ces changements successifs sont également porteurs de nouvelles incertitudes : pensons par exemple au dossier de la sauvegarde en ligne où le notaire est invité à protéger ses données en en conservant copie en dehors de son étude, mais où ses choix en la matière peuvent le placer en contravention à sa réglementation professionnelle ou l'exposer à des lois étrangères. Et si la pratique notariale a toujours été fertile en incertitudes, il faut bien admettre que celles posées par le virage technologique sont toujours plus difficiles à cerner ou à contrôler. Quant à notre capacité à les éviter, malgré tous nos efforts et notre bonne foi, elle semble certains jours être aussi incertaine que la couverture de nos assurances responsabilités face à ces nouvelles embûches.
Car en définitive, si nous sommes aujourd'hui plus « productifs », si nous pouvons faire une recherche de titres sur un lot situé à l'autre bout du Québec sans sortir de notre bureau, obtenir en ligne des états de taxes d'à peu près n'importe quelle institution, générer un acte de vente à la seconde, et le publier en moins d'une journée, nous sommes exposés à des problématiques nouvelles qui nous empêchent de profiter de ces avancées technologiques et nous font parfois regretter le bon vieux temps. La volatilité de l'information et la vitesse à laquelle elle circule désormais nous apportent en effet une flopée de problèmes de confidentialité et de sécurité. Par exemple, sauf dans un incendie, il était autrefois difficile d'imaginer perdre ou se faire voler tous ses dossiers et documents d'un coup. Ce qui est non seulement possible, mais facile, en cette époque où la totalité de notre greffe et de nos dossiers peut tenir sur un gadget gros comme un briquet ou être entreposé dans les nuages. Et qui se souciait de la fichue compensation des effets de commerce il y a dix ans ?
Non, il faut bien l'admettre, le praticien d'aujourd'hui est bien seul face à ces problèmes. Mais il faut tout de même admettre que le notariat a bien su tirer profit du virage technologique qui a secoué, et secoue toujours, toute notre société et qu'il est mieux armé pour y faire face. Quant à moi, je repars pour un autre contrat de dix ans en nos pages, si Dieu me prête vie et si vous voulez bien continuer de me lire !
À la prochaine !
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