«"Mesdames et messieurs, attention ! Je vais vous faire une chanson, le sujet en est ambitieux, de mon image je suis soucieux, en 1990, c'est l'heure des communications. » Vous reconnaissez, n'est-ce pas? Certaines chansons marquent leur époque, et 1990 est certainement l'une de celles-là. Simplement d'entendre ces premières mesures me ramène vingt ans en arrière, et me rappelle le soir où j'assistais en direct, avec des millions de personnes, à la première invasion de l'Irak par les américains.
Jean Leloup est un grand artiste, capable de capter les changements qui affectent la société. Mais en rétrospective, il aura eu une inspiration absolument prophétique en écrivant sa chanson. 1990 aura vraiment marqué l'ère des communications. Car 1990 aura vu l'invention du Web, au fond du laboratoire universitaire d'un jeune chercheur du CERN, Tim Berners-Lee. C'est en effet lui qui a eu l'idée de créer un système de communication public permettant de naviguer d'un document à l'autre par hyperliens cliquables, à l'aide d'un logiciel appelé « navigateur », de grouper les documents sous forme de « sites » identifiés par un nom (de domaine) et d'utiliser le réseau Internet pour les interconnecter. Le génie de ce chercheur n'a donc pas été tellement de créer des nouvelles technologies, mais bien de combiner des concepts déjà connus dans l'élaboration d'un système de communication qui allait carrément révolutionner l'humanité. Le World Wide Web était né.
Le réseau Internet existait depuis longtemps. Développé dans les années soixante pour assurer le maintien des communications entre les militaires advenant une attaque nucléaire (sa structure décentralisé permettant de survivre à la disparition de plusieurs des ordinateurs qui y sont connectés), il a été également largement utilisé entre les universités. Les fonctions hypertextes aussi sont issues de recherches menées dans les années soixante, des souris rudimentaires permettant déjà, en 1968, d'actionner des liens cliquables entre des pages informatiques, concept repris par Apple dans ses premiers ordinateurs Macintosh et qui commençait, à l'époque, à gagner le monde du PC. Le génie de Berners-Lee a donc été d'avoir la vision d'un environnement combinant tous ces éléments, et de paver la voie à la libération de l'information et à l'explosion de la communication dans le monde informatique.
D'autres précurseurs prendront le relais, Marc Andreessen tout d'abord qui inventa le premier véritable navigateur Web populaire, Mosaic, qui deviendra par la suite Netscape. Jusque-là cependant, le potentiel d'Internet et surtout du Web avait été totalement sous-estimé par les grands joueurs de l'industrie, particulièrement de Microsoft. Par exemple, Windows 95 ne comportait aucun navigateur Web à son lancement... La popularité et la croissance de Netscape allait brutalement réveiller notre ami Bill qui allait faire du Web sa priorité à partir de 1995. Sa stratégie agressive allait s'articuler autour d'Internet Explorer, développé à la hâte à la suite du refus d'Andreessen de lui vendre Netscape. Bill devait alors décider de donner IE, notamment en l'intégrant à Windows 98, afin de pousser Netscape à la faillite. Ceci allait donner naissance à une saga judiciaire... « le mal était fait », Netscape vivotait depuis et n'était pas en mesure de bénéficier de cette victoire judiciaire, et devait finalement disparaître peu après, malgré sa vente à un autre grand joueur du temps, America Online (AOL). Ses dirigeants eurent cependant l'idée géniale de céder leur technologie à une fiducie, la fondation Mozilla, qui donna naissance à un important navigateur de code source libre (« Open Source »), Firefox. Ce dernier, dans un juste retour des choses, menant aujourd'hui la vie dure à Internet Explorer.
Rapidement, la masse d'information grandissante consignée sur le Web a rendue essentiels les outils de recherche. Les services comme Lycos ou Altavista connurent alors leur heure de gloire, avant que n'arrive la révolution Google, autre invention de chercheurs isolés propulsés à l'avant-scène et à la fortune par leur création à la croissance exponentielle, Larry Page et Sergey Brin. Les années 2000 devaient bientôt nous emmener le Web 2.0, acronyme symbolisant la prise de contrôle du réseau par les usagers qui font maintenant du réseau un outil interactif dynamique, bâti et réinventé quotidiennement par les internautes, et symbolisé par un autre visionnaire Mark Zuckerberg.
L'histoire du Web est tout à fait fascinante. Sa croissance phénoménale donne lieu à une nouvelle ruée vers l'or où tous les coups sont permis. Mais il est aussi le théâtre de belles histoires, comme celle de Wikipédia, encyclopédie mondiale gratuite et libre en 270 langues à laquelle contribuent environ 100 000 auteurs bénévoles. Le Web aura d'ailleurs alimenté la croissance de nombreux projets informatiques, en matière de logiciel libre notamment. Des concepts comme « Open office », n'auraient certainement pas connu un aussi grand engouement sans bénéficier du Web comme vecteur de croissance. Le retentissement de l'affaire Microsoft ayant également poussé de nombreux pays, particulièrement en Europe, à favoriser le logiciel libre.
Mais le plus grand impact du Web se retrouve sans contredit dans nos sociétés et nos habitudes elles-mêmes. Pensez-vous par exemple que le virage technologique vécu par notre belle profession aurait été aussi rapide et englobant sans l'invention de Berners-Lee? Ce raisonnement s'applique dans tous les domaines, maintenant que le Web est si imbriqué dans notre quotidien que nous en venons à tout bonnement oublier qu'il est là. Commerce électronique, transactions bancaires en ligne, disparition rapide de l'usage du papier, révolution des journaux, convergence médiatique, chaque composante de notre univers en ce début de XXIe siècle a une composante Web en amont ou en aval. Le monde de 1990 connaissait peut-être déjà tous les ingrédients requis pour amener le monde dans ce virage fondamental, certes le plus important depuis la révolution industrielle. Il ne lui en manquait que la recette, qu'allait lui donner Berners-Lee. Et le reste, comme on dit, fait partie de l'histoire.
À la prochaine !
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