Je ne peux m’empêcher de souligner un ’événement, car il s’agit après tout d’un point tournant dans la vie d’un notaire. Vous saurez que l’euphémisme est de taille quand je vous dirai que je parle du dépôt de mon greffe aux bureaux de la Cour Supérieure. Donc, soit dit en passant, si vous avez un jour besoin de copies de mes actes inutile de me téléphoner! Ce dépôt survient après quelques années consacrées au droit des affaires, aux études en droit des technologies et à mes nouvelles fonctions d’éditeur d’IIJCan. L’empaquetage final de mes minutes a donc été l’occasion d’un retour aux sources. Un peu comme si je rendais visite à un vieil ami que je n’avais pas vu depuis longtemps...
Cette opération, qui marque le point final de dix-sept années de pratique privée et le jalon important de ma réorientation professionnelle de quatre ans, m’a permis de jeter un coup d’œil sur la vingtaine d’années qui se sont écoulées depuis mon assermentation. Le temps file, n’est-ce pas? Non, non, non, ne me quittez pas tout de suite! Si vous craignez une envolée de nostalgie larmoyante soyez rassurés, ce n’est pas mon genre! Je reste techno, quand même.
J’ai plutôt réalisé que j’avais sans le savoir été aux premières loges de la plupart des changements technologiques qui nous ont secoué depuis le début des années quatre vingt. Je n’ai pas connu l’époque des copies sur papier oignon mais même si je n’avais pas alors les moyens de me le payer, je me souviens avoir commencé à pratiquer à l’époque du système informatique Clé qui, avec ses gigantesques disquettes d’une dizaines de pouces était le fin du fin pour les notaires de l’époque. Aujourd’hui, un vieux Clé serait totalement déclassé tant en mémoire qu’en vitesse par n’importe quelle montre numérique ou jouet électronique.
La dernière vérification de mon greffe et de mon répertoire, que je me suis imposée avant de procéder au dépôt, m’aura aussi permis de constater une énorme différence dans la gestion de l’information. Glissons rapidement sur les capacités prodigieuse offertes par l’informatique dans la tenue des dossiers, la préparation des actes et leur publication. Ses technologies ont entraîné, depuis vingt ans, une accélération du rythme de déroulement des transactions. Les notaires de pratique privée qui s’essoufflent quotidiennement pour suivre cette nouvelle cadence peuvent certes en témoigner. Mais il importe aussi de se questionner sur les nouveaux enjeux qu’entraîne cette informatisation, sur les risques qu’elle fait apparaître et sur les adaptations de nos habitudes et de nos pratiques que nous devrons proposer pour les esquiver.
Quiconque s’est un jour payé le plaisir d’une recherche dans un index aux noms manuscrit peux mesurer la puissance d’un outil de recherche électronique moderne. Google par exemple, mon préféré par ce que c’est le meilleur et le meilleur parce que c’est mon préféré, indexe et classifie si efficacement le contenu du milliard et plus de pages que compte le Web qu’il permet d’y retrouver l’information recherchée en quelques millièmes de secondes. Le résultat est fabuleux lorsque comparé aux huit heures investies dans la quête d’un pauvre petit acte dans un index aux noms manuscrit. Imaginez maintenant l’application de tels outils de recherche à des fichiers contenant des informations confidentielles : le résultat peut être dévastateur.
Un exemple? Pensez aux conséquences de l’insertion de l’adresse et du numéro de téléphone d’une partie ou d’un témoin à un procès dans le jugement qui tranche le litige. Il y a vingt ans, même si la même nature publique qu’aujourd’hui était théoriquement rattachée au document, bien peu de gens y avaient accès en pratique. Les parties et procureurs, bien sûr, en recevaient copie. Par la suite, une autre était acheminée à Soquij et/ou à d’autres éditeurs privés qui pouvaient, à leur choix, le publier ou non. S’il était publié, les professionnels du droit et les étudiants étaient bien souvent les seuls à savoir qu’il pouvait être consulté. S’il ne l’était pas, le document était condamné à dormir aux archives de la cour jusqu’à la fin des temps.
Mais publiez ce jugement sur le Web avec libre accès. Maintenant tapez le nom d’une des parties, votre débiteur ou un concurrent par exemple, et des services comme Google vous le projetteront à l’écran en quelques millièmes de secondes. Vous aurez accès non seulement aux coordonnées de la personne mais au jugement en entier. Maintenant, le jugement est vraiment public. C’est pour cette raison que de nombreux services de diffusion publique de jurisprudence en ligne, comme IIJCan, ont choisi de bloquer l’accès à leur document aux services de recherche comme Google, Altavista ou autres. D’autres, malheureusement, doivent carrément choisir d’arrêter de publier les décisions rendues en matière de droit de la famille ou de la jeunesse, faute de budget pour les caviarder au préalable afin d’en expurger les données nominatives.
Vous comprendrez que les techniques de rédaction des jugements devra nécessairement s’ajuster à ce nouveau paradigme car en évitant d’insérer des informations sensibles aux documents, le coûteux problème de leur anonymisation pourrait être résolu à la source.
Cet exemple est très éloquent et me pousse à me questionner sur des problèmes similaires dans le domaine notarial. Je pense par exemple aux systèmes de dépôt électronique des tribunaux pour la gestion de leurs dossiers et de leurs procédures. La quantité fabuleuse de renseignements consignées à ces dossiers pourrait les rendre très intéressants. Et que penser des systèmes de publication de données sur les compagnies ou les droits mobiliers et immobiliers? J’avoue humblement ne pas avoir eu l’occasion d’examiner en profondeur les systèmes d’ici[i] (ce n’est que partie remise!) mais la question mérite d’être posée. Les actes notariés eux-mêmes regorgent d’informations personnelles sur nos clients : adresses, dates de naissance, numéros d’assurance sociale, dates de décès, détails de transactions et de règlements de successions... La question de leur protection mérite toute notre attention, notamment au moment d’aborder le virage du greffe électronique.
À la prochaine!
[i] CIDREQ, Strategis, RDPRM, register foncier...
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